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Très cher voisin,

Je dis voisin car depuis deux jours nous sommes amenés à nous fréquenter avec une particulière proximité à laquelle je n’étais pas habitué.

Je n’ai jamais été sauvage, il est vrai que je fais parti des privilégiés, nous les animaux de l’agriculture moderne à qui on ne demande pas de faire beaucoup d’exercice même mental. Mais aujourd’hui je prends ma plume (j’ai déjà les lunettes je suis un sardi) pour t’exprimer ma grande inquiétude.

Tu as dû remarquer que derrière mes larges cornes j’ai aussi une large tête. A la différence de mes biens estimés congénères qui ne l’utilisent, je te l’accorde, que pour brouter, j’ai un cerveau qui fonctionne plutôt bien. En tout cas jusqu’à maintenant car depuis mon arrivée dans ta ville, je ne comprends plus rien.

J’entends bien ce que l’on dit de nous, comme quoi (pour le dire poliment) nous ne sommes que suiveurs et peu exigeants de nourriture spirituelle (oui j’ai lu Descartes). Une betterave et au dodo en quelque sorte. J’admets que je compte peu d’ascètes dans mes collègues. Cependant, et tu m’excuseras de cette remarque si elle est un peu osée,  je note que je ne suis pas la seule espèce dans ce cas.

Voisin, as-tu observé que si dans un de nos groupes dès qu’il y en a un qui brêle l’autre s’y met ?

Et bien dans ton groupe à toi, dès qu’il y en a un qui klaxonne c’est la fanfaronnade.

Au moins toi tu peux parler, exprimer tes inquiétudes et tes besoins au lieu d’émettre un son, fort désagréable d’abord, et complètement psalmodique.

Ah qu’il est difficile de rédiger sereinement cette lettre, alors que l’on m’a affecté un enclos à la limite de la surpopulation.

Justement, nous autres, nous nous acclimatons de ces habitats cloisonnés et restreints. Il faut se tailler la part du lion en arrivant mais nos règles de vie sont plutôt simples et acceptées de tous. Nous nous entendons très bien avec les autres espèces (les chevaux, les vaches, les hommes). Mais toi voisin, toi qui vit dans la promiscuité aussi, comment fais-tu pour râler autant et mal vivre avec les autres occupants de ta grande bergerie ? De ce que j’en sais, ce n’est pas se faciliter la vie. Tu devrais ruminer un peu plus ça te détendrait crois en mon expérience.

Et essaye un peu de moins embêter tes brebis. Une brebis contrite ça fait des petits énervés.

On me réclame à l’entrée, ce doit être l’heure de la betterave. Aujourd’hui c’est fête paraît-il. Et après au dodo ! Une vraie vie d’épicurien.

Avec toute mon affection,

Le mouton sardi en bas de chez toi.

One Comment

  1. Très belle plume Julie !


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